A une semaine de l’Aïd El Kébir, les préparatifs vont bon train au Maroc. Certaines familles ont d’ores et déjà acheté leur mouton et d’autres, malheureusement les plus démunies, fêteront l’Aïd El Kébir sans mouton ou devront prendre un crédit pour honorer la tradition du sacrifice.
Aujourd’hui, un mouton coûte cher au Maroc. En moyenne, cela représente l’équivalent d’un mois de SMIG, c’est-à-dire 2200 dirhams. De plus, les prix sont en... hausse cette année. Cela est principalement dû à la montée des prix de l’alimentation des moutons comme les graines de blé ou de maïs qui ont flambé sur le marché international.
Trop démunis pour acheter un mouton
Aïcha, mère au foyer habitant à Sakani, un quartier populaire à une dizaine de kilomètres de Sidi Bernoussi se prépare moralement à la fête, car elle fera partie des personnes qui n'auront pas les moyens de s'acheter un mouton pour l'Aïd.
« Pour le moment, on ne sait pas encore si on va acheter un mouton cette année. Mon mari s’est renseigné et les prix ont tellement augmenté. A ce jour on ne sait toujours pas si on va avoir un mouton à égorger. Par ailleurs, je n’ai pas les moyens de prendre un autre crédit en plus. J’ai déjà la traite de mon appartement à payer et un petit crédit que j’ai pris pour équiper mon appartement d’un chauffe-eau. Si on ne trouve pas, ne serait-ce qu’un petit mouton, on ira acheter de la viande chez le boucher. Ce n’est pas grave et je ne serai pas du tout triste si on n’égorge pas cette année », déclare-t-elle.
« Mon frère a déjà acheté un mouton et il m’a invité à passer la fête avec sa femme et ses enfants, mais mon mari a refusé. Il est trop fier. Il ne veut pas montrer au grand jour qu’il n’a pas les moyens de nous acheter un mouton, on sera fixé ce samedi et dimanche si on peut acheter un mouton », ajoute Aïcha.
S’endetter pour fêter l’Aïd El Kébir
Les gens qui ont un peu plus de moyens qu’Aïcha ont pu, quant à eux, demander un crédit à la consommation pour acheter un mouton. S’endetter sur plusieurs mois n’est pas un souci pour eux. « Aujourd’hui au Maroc, un fonctionnaire ou quelqu’un qui n’a pas de salaire, se sent obligé de prendre un crédit pour, non seulement permettre à sa famille et à ses enfants de fêter l’Aïd comme les autres, mais surtout de montrer à ses voisins qu’il a pu acheter un mouton. Le paraître est quelque chose qui compte encore beaucoup dans notre société », explique Mohamed Lotfi, vice-président du Forum Marocain du Consommateur.
Ceux qui se frottent le plus les mains en période de l’Aïd El Kébir, ce sont les sociétés de financement qui proposent des crédits à la consommation. Elles n’hésitent pas à sortir le grand jeu pour attirer de nouveaux clients. Certaines de ces sociétés n’hésitent pas à investir gros dans les affichages publicitaires dans les rues pour vendre leurs produits. Ainsi à Casablanca, par exemple, on voit des publicités montrant des moutons sous toutes les formes : tantôt en superman, tantôt en ballon qui s’envole dans le ciel. Les passants doivent faire face à une véritable personnification de l’animal le rendant totalement indispensable dans une famille.
10 mois pour rembourser un crédit mouton
Salafin est l’une des sociétés qui a investi dans la publicité pour attirer les clients lors de cette fête. Cependant, l’entreprise n’a pas souhaité mettre de moutons sur ses publicités pour éviter les critiques. Elle opte plutôt pour un simple plateau de thé avec une théière faisant référence au coté festif de l’Aïd El Kébir.
« Toute l’année durant, on a des financements associés aux fêtes religieuses et à d’autres évènements comme la rentrée scolaire ou les vacances. Pour l’évènement de l'Aïd El Kébir, ce qui est important d’évaluer c’est la capacité d’endettement de chaque ménage. Ce qu’on cherche à éviter est surtout de ne pas exclure celui qui gagne 2000 dirhams par mois. Cette personne peut prendre un crédit au même titre que quelqu’un qui gagne 15 000 dirhams par mois », explique Aziz Cherkaoui, directeur adjoint de Salafin.
Ainsi, durant un évènement comme l’Aïd El Kébir, le montant le plus emprunté chez la société est 5000 dirhams, des dépenses qui ne concernent pas nécessairement l’achat du mouton mais aussi les électroménagers que le ménage peut acheter ou les vêtements de fête pour les enfants. Ainsi pour rembourser ce crédit avec les intérêts en plus, il faudra compter 10 mois. Si on y regarde de plus près, lorsqu’une personne aura fini de payer son crédit, on arrivera à la rentrée scolaire, une période coûtant chère aux ménages marocains, qui pour la plupart, devront reprendre un nouveau crédit pour payer les frais scolaires, les livres, les fournitures et les vêtements de leurs enfants. Un véritable tourbillon sans fin qui peut amener très vite vers l’endettement, puis le surendettement. Au Maroc, ce sont surtout les fonctionnaires qui sont touchés par le surendettement.
« On n'a rien contre les sociétés de financement car elles font leur travail et permettent à certains consommateurs qui en ont besoin d’accéder à certains produits de la consommation. Ce que nous dénonçons par contre, ce sont les taux d’intérêts ou les frais de dossier qui sont trop élevés. Parfois les frais de dossier varient entre 150 à 400 dirhams, ca dépend des sociétés de crédit », s’indigne Mohamed Lotfi.
Acheter un mouton n’est pas une obligation
De son côté, ce qui indigne le plus Saïd Kamali, professeur d’Etudes Islamiques à Rabat, ce sont les publicités qui pullulent à chaque coin de rue. « C’est un espace délaissé par les associations de consommateurs mais dans lequel s’engouffrent les banques et les sociétés de crédit », déplore-t-il.
« On oublie souvent qu’acheter un mouton pour l’Aïd n’est pas une obligation chez les marocains musulmans sunnites malékites. Cela dépend de leur pouvoir d'achat. Si une personne peut, elle achète. Si elle ne peut pas, elle n’achète pas. L’autre cas de figure accepté est que si une personne souhaite réellement acheter un mouton pour sa famille, elle peut emprunter de l’argent mais, sans taux d’intérêt, car cela est interdit en Islam ». explique-t-il.
« On oublie le caractère religieux et les bonnes actions qu’on doit mener en ce jour saint, comme par exemple faire entrer de la joie chez le pauvre. Ainsi tout bon musulman devrait lorsqu’il égorge son mouton, le couper et le diviser en trois parties égales avant de le partager. La première partie est pour l’acheteur du mouton. La seconde est à donner à des gens pauvres de son entourage et enfin la troisième partie est à offrir en cadeau à la famille. Mais hélas, aujourd’hui, l’Aïd El Kébir est devenu une fête très individualiste au Maroc», conclut avec amertume Saïd Kamali.
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